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Transcription of Puisque des personnes que j’estime beaucoup  (1705)

Puisque des personnes que j’estime beaucoup, ont demandé mon sentiment sur les objections qu’on a faites à M. Saurin, et qu’il refute dans le journal des savans du d’Avril 1705, je ne puis me dispenser de dire que j’ay admire qu’un Auteur versé dans le calcul de l’Algèbre, et qui a l’honneur d’estre de l’Academie Royale des Sciences a pu alleguer de telles raisons contre une solution tres evidente, et qu’on ne peut nier d’avoir donné dans le but.

Une partie de ses objections revient à nous vouloir oster la liberté d’employer dans le calcul des differences et des sommes les premiers axiomes de la geometrie, par exemple celuy qui permet de substituer aequalibus aequalia et de mettre à la place de la raison de dy à dx sa valeur trouvée en termes ordinaires : comme s’il n estoit pas indifferent de faire de telles substitutions plus tost ou plus tard. Et en effect M. Saurin luy monstre, que lors qu’on s’abstient de cette substitution dans l’endroit ou son adversaire ne la veut point admettre, on ne laisse pas d’arriver à la même conclusion, contre ce que celuy ci a crû.

J’avoue de n’avoir pû m’empecher au commencement (lors que par hazard je jettay le yeux sur la pag. 250 de ce journal avant que d’avoir lû ce qui precede) de croire que M. Saurin se moquoit de cet auteur en luy attribuant des objections trop estranges mais j’ay bien reconnu par après qu’on ne luy avoit point fait de tort, et j’ay esté sur tout surpris qu’il a este capable de dire que quarrer les deux membres de la formule (ou Equation s=xdy:dx, c’est, faire une operation qui n’a pas encor esté practiquée dans la Geometrie Transcendante n’y indiquée par aucune regle de cette Geometrie . Comment donc? Faut il avoir la permission ou l’autorité de quelque regle pour se servir d’un axiome qui apprend que lors que deux grandeurs sont égales, leur quarrés le sont aussi ? Et faut-il que ceux qui donnent des preceptes d’un nouveau calcul s’amusent à repeter tout ce qui est du calcul ordinaire? D’ailleurs on practique tous les jours mille tours d’adresse dans le nouveau calcul comme dans l’ancien, dont l’Auteur des objections n’aura point vû d’exemple ny de regle

Il n’y a qu’une seule de ses objection[s] qui a quelque apparence quand on ne la regarde pas de pres: c’est pour quoy je veux l’examiner un peu: soit une courbe dont l’Equation locale est:

y^4-8y^3-12xyy+48xy+4xx=0

+16yy-64x

ou y est l’abscisse et x est l’ordonnée. En la différentiant il vient

\frac{dy}{dx}=\frac{3yy-12y-2x+16=v}{{y}^3-6yy+8y-6xy+12x=z}

ou bien pour abréger dy:dx=v:z. On demande la soutangente de cette courbe, ou ce qui est la meme chose, la valeur de xdy:dx, dans le cas où x=2=y. Or il se trouve alors v=0 et z=0 donc au lieu de dy:dx=v:z, il y aura dy:dx=0:0. Mais en ce cas il faut faire dv:dz=dy:dx suivant l’article 163 de l’Analyse des infinitesimales publiée par M. le Marquis de l’Hospital. Ce qui estant fait effectivement en expliquant v et z par x et y suivant leur valeur supposée; il se trouve que dy:dx=\pm{\sqrt{1:8}} et qu’ainsi dans ce cas où x est 2 la soutangente xdy:dx est \pm{\sqrt{1:2}}

L’Auteur de l’objection y oppose que la Methode des Tangentes ne souffre qu’une seule differentiation, qui estoit celle de l’Equation Locale de la Courbe, ce qui nous a donné dy:dx=z:v et il pretend qu’il n’est pas permis icy de venir à une seconde differentiation en mettant dv et dz, à la place des grandeurs v et z. Je réponds qu’en effect la methode des tangentes en general n’ordonne pas cette seconde differentiation; mais elle ne la defend pas non plus en general. Et dans le cas particulier dont il s’agit, il y a une raison particuliere qui l’ordonne, savoir la regle du cas ou le calcul nous mene à 0:0 (c’est-à-dire à 0 divisé par 0) car alors pour en tirer quelque chose, il convient de se servir de la methode prescrite pour cet effect qui est independante des Tangentes, et a lieu en toute sorte de rencontres ou 0:0 se trouve; comme le dit article 163 fait voir, ou on ne l’applique pas meme aux tangentes, sauf a d’autres de l’y appliquer quand ils en auront besoin. Et Mons. Saurin bien loin d’en devoir estre critiqué merite l’applaudissement de s’estre avisé si apropos d’une Methode qu’on n’employe pas ordinairement pour les Tangentes par ce qu’ordinairement on n’en a point besoin.

Mais à fin qu’on s’estonne moins de cette substitution des dv et dz au lieu des grandeurs v et z; je veux adjouter quelque chose qui pourra servir à éclaircir d’avantage le dit article 163. Il faut donc savoir qu’on ne peut point determiner ce que c’est qu’ 0:0, si on demeure purement dans ces termes ; puisqu’il n’y a pas plus de raison de dire que cette fraction est egale à 1, que de dire qu’elle est egale à 2; ou generalement à b: car multipliant par 0, les deux costés de chacune de ces Equations, il y aura 0 egal à 0 multiplie par 1, ou à 0 multiplie par 2, ou à 0 multiplie par b. dont l’un est aussi vray que l’autre: car quelque grandeur ou nombre qu’on puisse multiplier par 0, il provient tousjours 0. C’est pourquoy au lieu de prendre dans ce cas les v et z pour des riens (qui ne sont point des grandeurs, puisque dans les grandeurs le tout n’est pas egal à la partie, ny le double au simple, au lieu que deux fois rien est autant qu’une fois rien) il faut les prendre pour des grandeurs naissantes ou evanouissantes: or z naissant ou evanouissant est autant que son dz. Et v dans le même cas est autant que son dv.

Et ce cas des evanouissans ou naissans, est si pres du cas dont il s’agit qu’il n’en differe d’aucune grandeur assignable, comme il est manifeste dans la figure 130. du traité de l’Analyse des infinitesimales, ou la distance entre B et b est moindre qu’aucune qu’on puisse assigner. Il est encor à propos de considerer, que lors que z evanouit, ce n’est pas assez de mettre 0 à la place, car l’0 tout pur n’a nul rapport au z et ne marque point l’origine, qu’il tire de ce z au lieu qu’il faut marquer que c’est le z qui evanouit et non pas tout autre grandeur. Et cela s’obtient en mettant non pas le z tout evanoui (qui n’est rien absolument) mais le z evanouissant c’est à dire dz, comment nous venons de faire.

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